Eugène SCHUELLER (1881-1957) Fondateur de L'ORÉAL Par Aldo Salvador
Créateur génial et patron avisé de la société L'Oréal, Monsieur Eugène Schueller possédait une propriété à Franconville. Située à flanc de colline dans un grand parc arboré, une belle villa toute blanche qui portait bien son nom : la Villa Bianca.
Cette grande propriété surplombait la ville et s'étendait sur toute la longueur de la rue Soldini. Monsieur Schueller y venait assez régulièrement jusqu'à son décès en 1957. La villa encore présente aujourd'hui a gardé sa silhouette d'origine malgré les années.
« Dans le début des années cinquante, lorsque nous empruntions la rue Soldini le matin pour nous rendre à l'école, on pouvait apercevoir ce monsieur à l'air affable et de petite taille qui sortait de chez lui en costume et serviette pour monter dans sa magnifique voiture, avancée par son chauffeur devant sa villa. Une grosse voiture noire toujours parfaitement lustrée, avec d'énormes phares ronds et une imposante calandre aux chromes éclatants surmontée d’une statuette : une Rolls Royce.
Quelques pas derrière lui, son chien, un magnifique Setter irlandais le suivait fidèlement et l'accompagnait jusqu'à la voiture en balançant la queue puis revenait se coucher nonchalamment sur la grande marche arrondie de la porte d'entrée pour garder la maison...et regarder les passants.
Il nous arrivait aussi quelquefois de rencontrer un jeune couple : Sa fille Liliane, accompagnée de son mari, André Bettencourt (mariés en 1950) qui se promenaient en toute simplicité dans le quartier pour en apprécier le bon air, le calme, et le panorama (rue des Coteaux, rue des Belles vues.... ».
Mais, revenons à Eugène Schueller, ses origines, son parcours et à la formidable success-story du groupe L'Oréal dont il a été le fondateur.
Eugène Paul Louis Schueller est né à Paris le 20 mars 1881 dans l'arrière boutique de la boulangerie-pâtisserie de ses parents au 124 rue du Cherche-Midi (Paris 6ème). Ses parents, Charles et Amélie sont d'origines très modestes. Charles, fils d'un cordonnier, était cuisinier à Illfurth en Alsace et Amélie Denizot, fille d'un artisan taillandier, était domestique chez un boulanger de Sergines en Bourgogne.
De leur union ils eurent cinq garçons, mais seul Eugène survécut.
Les parents Schueller ont pour ambition de donner une bonne éducation à leur fils unique pour le préparer à affronter les vicissitudes de la vie. Eugène devient un élève studieux, brillant et courageux, qui après un parcours scolaire exemplaire, termine ses études à l’École nationale supérieure de chimie de Paris, dont il sortira lauréat de sa promotion en 1904.
Il devient ainsi promu assistant-préparateur d'un professeur de la Sorbonne (le professeur Victor Auger) puis chef-préparateur à la Pharmacie centrale de France. Il aurait pu faire une carrière brillante de professeur d'université, mais, un beau jour, un coiffeur bouleverse son destin en demandant s'il était possible de mettre au point une teinture capillaire totalement fiable et surtout inoffensive (pour couvrir les cheveux blancs) contrairement à celles disponibles qui posaient de nombreux problèmes.
Passionné par cette demande, dont le sujet pouvait pourtant paraître futile à l'époque, il se porte unique volontaire parmi ses collègues pour s'atteler à ce problème.
l fait de nombreux essais et réussit en 1907 (à 26 ans) à mettre au point sur la paillasse d'évier de son petit deux-pièces du 3 rue d'Alger à Paris, une formule de coloration chimique pour cheveux qu'il baptise l'Auréale qui va inspirer plus tard le nom de sa firme. Ce nom viendrait d'une coiffure féminine très en vogue à l'époque.
Il décide alors de déposer un brevet (le 31 décembre 1907) pour protéger son invention, et avec quelques économies (800 Frs) réalisées sur son salaire il donne sa démission à la Pharmacie centrale de France en janvier 1908.
Il installe son entreprise dans son deux-pièces qui fait office à la fois de bureau et de salle de démonstration pour les coiffeurs.
Il fabrique ses teintures chez lui la nuit et le jour visite les coiffeurs-barbiers du quartier et autres salons de beauté pour les vendre, mais il ne rencontre pas le succès espéré...
Une nouvelle rencontre va donner un élan inattendu à son projet en la personne d'André Spéry, originaire d’Épernay et comptable de son métier chez Cusenier (les spiritueux).
Ce dernier vient de toucher récemment la somme de 25.000 Frs d'un héritage et, fasciné par l’enthousiasme d'Eugène Schueller, propose de mettre cette somme à sa disposition pour l'aider à réaliser son projet.
C'est ainsi qu'ensemble ils décident de fonder le 30 juillet 1909 la Société française de teintures inoffensives pour cheveux (société en nom collectif) domiciliée au 7 bis rue du Louvre (Paris 1er). Ils embauchent pour cela un représentant et un démonstrateur, ancien coiffeur à la Cour impériale de Russie.
Ce fut la première pierre du gigantesque empire de L’Oréal, qui par une formidable success story deviendra plus tard le numéro un mondial des cosmétiques.
Entre-temps, le jeune inventeur se marie le 28 octobre 1909 avec Louise Madeleine Berthe Doncieux (pianiste, professeur de solfège et femme d’affaires).
Après l’intermède de la Première Guerre mondiale (où il est sous-lieutenant d’artillerie) pendant lequel il avait laissé les commandes à son épouse, il reprend son parcours d’industriel dès son retour, poursuivant l’expansion de son entreprise.
La famille s’agrandit, car leur fille Liliane naît le 21 octobre 1922 à Paris.
Convaincu de l’efficacité de la publicité pour favoriser son expansion, il lance en 1923 un magazine L’Oréal Bulletin qui est largement diffusé dans tous les salons de coiffure.
Malheureusement, le 27 octobre 1927 son épouse décède, le laissant seul avec sa fille Liliane qui vient tout juste d’avoir 5 ans.
Poursuivant son expansion, il diversifie ses activités avec l’acquisition en 1928 de la Société des savons français (plus connue sous le nom de sa marque Monsavon)
et développe (en 1929) la teinture rapide Imédia dont la mode des cheveux courts pour les femmes favorise le succès.
En 1932 Eugène Schueller se remarie avec Annie Grace Burrows (1897-1961).
En 1934 il lance le fameux shampoing Dop et un nouveau magazine féminin promotionnel de ses produits Votre beauté (dont l’ami François Mitterrand deviendra le directeur général en 1945).
En 1935 il met au point Ambre Solaire (au moment des premiers congés payés).
Son associé, André Spéry décède en 1936 et la société devient une SARL.
Une nouvelle société (SA) est créée le 5 avril 1939 sous le nom de Société L’Oréal qui installe son siège social à la prestigieuse adresse du 14 rue Royale à Paris (8ème) où elle est encore aujourd’hui.
En 1938 il met en place dans son entreprise le salaire proportionnel qui suit l’évolution du chiffre d’affaire.
En 1945 la première permanente à froid Oréol est mise au point. La société compte déjà 25 chercheurs.
En 1950 André Bettencourt (1919-2007) homme politique, ancien ministre et ami de jeunesse d’Eugène Schueller, intègre la direction de L’Oréal et épouse sa fille Liliane le 8 juin 1950.
En 1952 la coloration directe Régé-Color est lancée sur le marché.
Le groupe acquiert ensuite les Laboratoires Industriels de Vichy qui lui permettront d’accéder au circuit de distribution des pharmacies.
Au décès de son père à l’âge de 76 ans (le 23 août 1957 à Paris) Liliane héritera du groupe L’Oréal, leader des produits cosmétiques et de beauté.
François Dalle, ancien cadre de l’usine Monsavon de Clichy puis de L’Oréal devient PDG du groupe.
Le fondateur avait confié vers la fin de sa vie :
« Je suis un homme de petites et moyennes entreprises,
Dalle est l’homme des grandes perspectives, c’est lui qui fera L’Oréal ».
A la suite d’Eugène Schueller, plusieurs dirigeants se succèderont à la tête du groupe L’Oréal :
François Dalle de 1957 jusqu’en novembre 1984
Charles Zviak : jusqu’en septembre 1988
Lindsay Owen-Jones : jusqu’en mars 2011
Jean-Paul Agon Directeur général à partir d’avril 2016,Président-directeur général depuis mars 2011
Tous resteront fidèles aux valeurs transmises par son créateur qui avait fondé son action avec succès sur la recherche, le développement, l’innovation et aussi sur…la publicité.
Chacun d’eux a apporté ses compétences et son talent pour contribuer à développer le groupe L’Oréal et faire qu’il soit aujourd’hui un des fleurons de l’industrie française reconnu dans le monde entier.
Voici quelques chiffres du Groupe L’Oréal (2015)
1er groupe cosmétique mondial (source : WWD Beauty’s top avril 2015)
Portefeuille unique et international de 32 marques complémentaires
82900 collaborateurs dans le monde
497 brevets déposés en 2015
25,3 Mds € de chiffre d’affaire
Que de chemin parcouru (en 110 ans) depuis 1907 et les premiers essais de ce créateur génial dans la cuisine de son petit deux-pièces parisien… !